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14 Octobre 2019 , Rédigé par philippedurand.over-blog.com

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Après l'agression d'une femme voilée par un élu RN, la classe politique se réveille
12 octobre 2019 Par Pauline Graulle

Un conseiller régional frontiste a ordonné à une femme voilée de quitter l’hémicycle du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. L’affaire, qui prend place dans un air du temps nauséabond, a déclenché l’indignation politique au niveau local, puis au niveau national.

Un enfant qui pleure dans les bras de sa mère. La photo, d’une infinie tristesse, a fait le tour des réseaux sociaux. Comme un symbole de l’humiliation vécue par beaucoup de musulmans en France, en ces temps d’appels à l’islamophobie diffusés en prime time.

En plein conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, vendredi 11 octobre, Julien Odoul, ancien centriste de l’UDI passé au Front national et chef de groupe du Rassemblement national à la Région, a agressé verbalement une femme voilée, venue accompagner son fils de CM2 lors d’une sortie scolaire. Terrible ironie de l’histoire, cette sortie se tenait dans le cadre de l’opération « Ma République et moi » montée par la maison de quartier de Belfort, afin d’initier les élèves à la citoyenneté « en leur faisant découvrir des institutions régionales et nationales ».

En plein conseil régional, la mère voilée, prise à partie par le RN, console son fils. © DR En plein conseil régional, la mère voilée, prise à partie par le RN, console son fils. © DR

Les faits se sont passés vendredi, durant la session plénière. S’apercevant qu’une femme voilée était dans la salle, le cadre frontiste, déjà connu pour son islamophobie décomplexée et pour avoir baigné dans l’affaire des assistants parlementaires du Rassemblement national (RN), a réalisé l’un de ces fameux coups de com’ dont sont experts les élus d’extrême droite – il n’a d’ailleurs pas tardé à faire circuler la vidéo de son esclandre, et a reçu 3 500 « j’aime » sur Twitter.

Prenant à partie la présidente du conseil régional, Marie-Guite Dufay, l’élu a ordonné que la mère de famille retire son foulard au prétexte du règlement intérieur. Ce qu’a refusé Marie-Guite Dufay, répondant que le règlement intérieur ne prévoyait en aucun cas une telle mesure. « On ne peut pas débuter la session par une minute de silence pour les victimes de la préfecture de police et accepter ça », a ensuite lancé Julien Odoul avant de quitter l’hémicycle entouré d’un aréopage d’élus de son parti, rapporte L’Est républicain.

La mère de famille voilée s’est ensuite fait malmener dans les couloirs du bâtiment par une élue RN qui lui aurait dit « Vous êtes soumise, vous allez voir quand les Russes vont arriver, vous allez dégager ! » Un agent de la sécurité a dû intervenir.

Dans un communiqué cosigné avec les élus de la majorité (socialiste), la présidente du conseil régional, Marie-Guite Dufray, a exprimé sa « pleine solidarité » avec la mère agressée, les enfants présents et leurs accompagnateurs, et souligné « la gravité extrême » des faits qui se sont déroulés : « Les élus de la majorité régionale alertent les citoyens de Bourgogne-Franche-Comté sur le danger de tels comportements haineux et potentiellement violents », a-t-elle écrit vendredi soir.

« Le Rassemblement national n’en était pas à sa première provocation, a aussi expliqué la présidente du conseil régional, qui pourrait porter plainte auprès du procureur de la République. Dès le début de la journée, ils accusaient la FCPE de complaisance vis-à-vis de l’islamisme, accusaient également les services de la Région d’être gangrénés par l’islamisme radical. Toutes ces allégations sont fausses et diffamatoires. Plus tard, ils ont fait part de leur dégoût au sujet d’une exposition contre le racisme, au sein du Conseil régional, exposition qui  mettait à l’honneur Martin Luther King. » En retour, le RN local a accusé Marie-Guite Dufray de vouloir « voiler la France des Lumières ».

L’épisode se déroule dans un contexte national tendu, après que le gouvernement a libéré la parole d’un débat nauséabond sur les supposés « signaux faibles » de radicalisation islamique. Il intervient aussi quelques jours après la mauvaise polémiquelancée par les membres du Printemps républicain, et relayée par le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, sur le port du voile des mères accompagnatrices de sorties scolaires.

Au printemps dernier, un amendement avait aussi été voté au Sénat pour obliger les femmes voilées accompagnant leurs enfants en sortie scolaire à retirer leur foulard – la sénatrice de gauche, Marie-Noëlle Lienemann, s’était d’ailleurs abstenue. Finalement, la mesure, divisant La République en marche (LREM) aussi bien qu’une partie de la gauche, n’était pas passée à l’Assemblée nationale.

Comme une indication que le port du voile est un sujet délicat pour une partie de la classe politique, ou peut-être parce que c’est  le week-end, peu de responsables politiques nationaux avaient pris la parole vingt-quatre heures après l’incident du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Des voix de la société civile se sont élevées rapidement pour condamner les propos de Julien Odoul. Le philosophe Raphaël Enthoven ou le journaliste Askolovitch ont qualifié l’élu RN de « salaud ». L’avocat Arié Halimi, membre de la LDH, et spécialiste des libertés publiques, a pour sa part ironisé sur Twitter : « Bonjour Juju. À très vite. » Marwan Muhammad, directeur du Collectif contre l’islamophobie en France, a salué la réaction « salutaire » de la présidente du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté.

Dans un premier temps, les réactions politiques ont été fort limitées face une affaire qui charrie des thèmes qui divisent à l’intérieur même des organisations politiques. Le Bien public, journal dijonnais, raconte ainsi que le président du groupe centriste et de droite du conseil régional, François Sauvadet (UDI), a estimé qu’il faudrait « peut-être songer à faire évoluer le règlement intérieur, afin qu’il colle aux règles qui régissent l’Assemblée nationale et le Sénat [qui interdisent le port ostentatoire de signes religieux dans leurs hémicycles – ndlr] ». L’ancienne cheffe de file du RN de la Région, Sophie Montel, a jugé, au contraire, que « s’en prendre à une femme devant des enfants, c’est dégueulasse ».

 
 À LREM, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, s’est émue, sur Twitter, des conséquences que l’affaire pourrait engendrer : « C’est en humiliant les mères publiquement devant leurs enfants qu’on crée du communautarisme. » Marwan Muhammad lui a répondu vertement : « Vous vous réveillez en 2019 sur une scène d'abjection islamophobe obscène et indéniable, mais ce type d’exclusion a lieu tout le reste de l'année, dans le silence. C'est aussi le fruit de votre politique, de vos renoncements. Peut-être qu'il est temps de vous poser ces questions. » La députée En marche du Val-d’Oise, Fiona Lazaar, a, elle, réagi plus franchement : « Cette scène est choquante, inadmissible, hors-la-loi. Plus on tolère une parole discriminante et raciste dans le débat public, plus ils iront loin. Jusqu’où ? »

Du côté de La France insoumise, Raquel Garrido a qualifié Julien Odoul de « racaille » et le groupe RN à la région de « bande de lâches qui se mettent à plusieurs contre une femme et un enfant ».  Dans l'après-midi, la députée Danièle Obono, publiait sur Twitter, avec le hashtag « #islamophobie » – un mot qui dérange certains cadres de LFI « Honte à tous·tes ces ignobles irresponsables politiques qui dévoient la #laïcité à des fins racistes. Force & honneur à cette femme, mère, citoyenne, à sa famille & à toutes celles qui, comme elle, chaque jour, subissent & résistent. »

La députée communiste Elsa Faucillon exprimait aussi son dégoût et sa colère : « Je bous, j’enrage, vraiment c’est la boule au ventre que je regarde cette photo. Je suis en colère, triste et j’ai envie de dire à cette maman et à cet enfant qui pleure combien nous sommes Un.e et indivisible ! Ne laissons pas passer l’intolérable. » L’eurodéputé proche du PS, Raphaël Glucksmann, a lui, invité « ces élèves et leurs accompagnateurs à venir découvrir le Parlement européen et les principes universalistes qu’on y défend. Contre des gens comme Julien Odoul. Car notre France n’est pas la sienne ».

La classe politique se réveille enfin

Finalement, la classe politique a fini par se réveiller après avoir découvert, après plus de vingt-quatre heures de retard, l'humiliation infligée à cette femme voilée le 11 octobre.  En fin de soirée, samedi, plusieurs responsables politiques ont réagi.

Le Parti communiste a publié, dimanche, un communiqué de presse pour condamner la « stigmatisation grossière » de Julien Odoul, sa « xénophobie » et « ses effets désastreux sur l'image que les enfants pourront garder des institutions de la République »« La violence de l'incident, son caractère d'agression et d'humiliation, indigne du comportement d'élus, mérite que leurs auteurs soient sanctionnés », ajoute le PCF.  Pour l’heure,  c'est la seule formation politique à avoir publié une réaction engageant le parti dans son ensemble. Plus tôt, samedi matin, un tweet de l’adjoint communiste à la mairie de Paris, Ian Brossat, nous avait échappé. L’élu y apportait son « soutien à cette maman et à tous ceux qui subissent quotidiennement la haine de ces racistes ».

À La France insoumise, la co-présidente du groupe parlementaire, Mathilde Panot, a, elle aussi, souligné, samedi, « la violence des mots et de l’image. L’ignominie de cet infâme parti et de ses élus n’a plus de limites. Plein soutien à cette maman humiliée et à toutes les autres qui subissent quotidiennement ces attaques ». À sa suite, le député Loïc Prudhomme a dénoncé des « élus racistes, qui sont la fange de la société », Alexis Corbière a tenu à préciser que « la laïcité, c'est la Concorde, pas l'injure contre une partie de la population en raison de sa religion », et Clémentine Autain s’est alarmée de ce que « l’extrême droite [fasse] sauter les digues une à une, dans l’indifférence générale ». Adrien Quatennens, numéro 2 du mouvement, et Jean-Luc Mélenchon, qui défilaient hier dans la manifestation pour le Rojava, ne se sont, à notre connaissance, pas encore exprimés publiquement.

 

 

Dimanche, ni Europe Écologie-Les Verts (EELV), ni le Parti socialiste n’avaient rédigé de communiqué national. La sénatrice écologiste Esther Benbassa a exprimé sa « honte pour le présent et [sa] peur pour l’avenir »« Racisme, discrimination et incitation à la haine, voilà le programme scandaleux du RN en région Bourgogne-Franche-Comté [...]. Attitude indigne d'un élu qui mérite une condamnation en justice ! », a renchéri Julien Bayou, en lisse pour devenir le secrétaire national d'EELV, en novembre prochain. La socialiste Isabelle This Saint-Jean, membre du conseil national du PS, s’est adressée au fils de la femme malmenée par Julien Odoul : « La honte ne doit pas être pour toi, mais pour celui qui t'a blessé. »

Du côté de La République en marche et du gouvernement, qui prétendent faire de l’extrême droite leur ennemi principal, c’est toujours un silence quasi unanime. Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité (rattaché à Matignon), a rappelé que « cette mère n’[était] pas soumise à la neutralité et n’avait pas à être humiliée et menacée devant son enfant et sa classe venues découvrir le fonctionnement de l’assemblée régionale ».

Les députés ne sont pas nombreux à avoir réagi, mis à part Aurélien Taché, Cécile Rilhac, députée du Val-d’Oise (« La colère m'étrangle, honteux, scandaleux »), et Laetitia Avia, députée de Paris et ex-strauss-kahnienne, qui a tweeté, dans la nuit : « Quand je pense à cette femme humiliée en raison de sa foi et à ce petit garçon qui a entendu un élu dire que sa mère n’avait pas sa place dans notre République, j’espère sincèrement qu’ils ont reçu les nombreux témoignages de soutien de ceux qui portent nos valeurs républicaines. »

Les marcheurs ne l’ont manifestement pas tous entendue. Ce dimanche matin, Aurore Bergé, ex-UMP et l’une des figures du mouvement, s’est fendu d’un commentaire ambigu : si elle concédait qu’« humilier des femmes qui respectent la loi ne [lui] inspir[ait] que du dégoût. Et fait le jeu des communautaristes... », elle appelait néanmoins à « interdire le port de TOUS les signes religieux ostensibles dans les collectivités locales ou pour les accompagnatrices scolaires ».

Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, sur BFM TV ce dimanche matin, a critiqué les agissements de Julien Odoul, mais a répété que « le voile n’est pas souhaitable, il ne faut pas l’encourager, car cela ne correspond pas à nos valeurs. »

Au Rassemblement national, favorable à l'interdiction du port du voile dans l'espace public, Nicolas Bay, le porte-parole, a tenté un petit rétropédalage, affirmant que l'agression verbale de Julien Odoul était une « maladresse d'un jeune élu régional. Sur le fond, il faut être intraitable, pour autant, il faut respecter les personnes »

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